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Intervention d’Anicet Le Pors

CIDEFE, Journées d’étude d’Avignon, 17 juillet 2010 - Service public, intérêt général, art et culture

vendredi 23 juillet 2010

 


CIDEFE, Journées d’étude d’Avignon, 17 juillet 2010 - Service public, intérêt général, art et culture. Intervention d’Anicet Le Pors.

SERVICE PUBLIC : SE RÉAPPROPRIER L’HISTOIRE,

LA RATIONALITÉ ET LA MORALE

La question du service public est aujourd’hui constamment dans l’actualité syndicale et politique. Mais c’est aussi un thème d’approfondissement idéologique.

Les idées d’intérêt général, de service public, de fonction publique se sont forgées en plusieurs siècles.

Comment ne pas évoquer dans cette ville d’Avignon et sur la question du service public la figure de Philippe Le Bel, l’un des rois de l’histoire d France qui a le plus fortement marqué notre histoire voire même la construction des concepts qui régissent aujourd’hui la société française.

C’est Philippe Le Bel qui installe en 1309 le pape Clément V en Avignon en réplique au prédécesseur de ce dernier, Boniface XIII, qui prétendait affirmer la supériorité du pape sur les rois. Il s’agit là d’un acte de sécularisation du pouvoir politique et de séparation de l’État et de l’Église qui n’est pas sans annoncer le principe de laïcité qui n’est dans aucun pays affirmé avec autant de force qu’en France

C’est Philippe le Bel qui, devant faire face à une grave crise financière, à un lourd endettement de la France vis-à-vis de puissants financiers de France et d’ailleurs, Lombards notamment, décide de s’affranchir de cette contrainte en … exécutant ses créanciers. C’est le cas notamment de Jehan Le Flamand qui occupait l’Hôtel de Rambouillet rasé sous Richelieu et sur le site duquel se trouve installé aujourd’hui le Conseil d’État au Palais Royal. Toute comparaison avec la situation actuelle est évidemment fortuite…

Et puisque l’on parle du Conseil d’État, c’est aussi à Philippe le Bel que l’on doit la création du Conseil d’État du Roi fondé sur une idée simple et essentielle : les affaires du royaume ne peuvent pas relever des tribunaux de droit commun en raison de leur caractère éminent. C’est l’affirmation d’une distinction public-privé qui perdure jusqu’à nos jours, en France plus que partout ailleurs.

On parle alors de « bien commun ». Les articles 1er et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sous la Révolution évoqueront les notions d’ « utilité commune » et de « nécessité publique ». D’autres étapes confirmeront l’affirmation de ce qu’on nomme aujourd’hui « intérêt général » : la révolution de 1848 (« bien-être commun » et « ordre général ») ; le développement de l’école française du service public à partir de la fin du XIX° ( avec le développement de la doctrine universitaire et jurisprudentielle – Hauriou, Duguit, Laferrière, Jèze) ; de nombreux textes majeurs dont, par exemple, le statut général des fonctionnaires en 1946, etc. Ces notions se sont incarnées dans des personnages historiques importants : après Philippe Le Bel, Richelieu jusqu’à de Gaulle.

 


I. LA CONCEPTION FRANÇAISE DE L’INTERÊT GÉNÉRAL, DU SERVICE PUBLIC, DE LA FONCTION PUBLIQUE


1.1. L’intérêt général

Les économistes néo-classiques ne sont parvenus à définir qu’un « optimum social », préférence révélée des consommateurs. Le citoyen ne se réduit pas à un consommateur ni à un producteur ?

Le juge administratif a considéré que c’était au pouvoir politique de le définir dans un débat démocratique. Il en a fait cependant usage mais de façon subsidiaire dans l’application du principe d’égalité. Il a identifié des activités relevant de l’intérêt général.

Il siège dans les notions de déclaration d’utilité publique, d’ordre public. Les « actions positives » pour une raison d’intérêt général doivent être proportionnées à la différence des situations ou à l’intérêt général invoqué.


1.2. Le service public

Une notion simple à l’origine : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs. Couverture par l’impôt et non par les prix, avec prérogatives de service public.

Une notion devenue complexe : interpénétration public-privé (régie, concession, délégation). Hétérogénéité croissante, développement du secteur associatif, le contrat le dispute à la loi.

Contradiction exacerbée dans le cadre de l’Union européenne dont les critères sont essentiellement économiques (« Économie de marché … »), le service public ignoré (sauf art. 93 du traité FUE), définition des SIEG et des SIG, Jurisprudence de la CJCE tend à faire une place cependant aux acticités d’intérêt général ; le régime de la propriété n’est pas préjugé (art. 345). Importance des services publics dans le rejet du traité constitutionnel le 29 mai 2005.


1.3. La fonction publique

Création ancienne d’une administration centralisée. Principe hiérarchique dominant. Création de règles jurisprudentielles et rejet de la notion de « statut carcan » par les syndicats. Statut de 1941 sous Vichy. Statut du 19 octobre 1946. Redistribution législatif-réglementaire en 1959.

L’élaboration du statut actuel en 1981-1986 : les 3 principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité). La conception du fonctionnaire-citoyen opposée au fonctionnaire-sujet (Michel Debré). Une fonction publique à « trois versants » (FPE, FPT, FPH).

Montée en puissance des personnels sous statut : 200 000 fonctionnaires début XX° siècle, 1 million en 1946, 2,1 millions en 1981, 5,3 millions aujourd’hui ; 146 articles législatifs en 1946, 57 en 1959, plus de 500 aujourd’hui ; la plus grande longévité contre la prévision de F. Mitterrand en 1986.



II. UNE OFFENSIVE SANS PRÉCÉDENT CONTRE CES ACQUIS HISTORIQUES


Selon Marcel Gauchet, la stratégie de Sarkozy c’est la « banalisation » de la France. La France, une somme d’ « anomalies » : le modèle d’intégration, la laïcité, le service public, les collectivités territoriales, etc.

Le pragmatisme destructeur contre l’ « ardente obligation ». L’ « identité nationale » comme contre-feu.


2.1. La réduction de la dépense publique

Des précédents, la commission de la Hache dans les années 1950, la RCB, la LOLF (34 missions, 132 programmes, 620 actions) et sa « fongibilité asymétrique ».

La RGPP : non remplacement d’un fonctionnaire sur 2 ; plus de 300 mesures administratives, pas de concertation. Le démantèlement de l’ « administration rationalisante » CGP, CNE, HCEP, HCCI, CIRA, DP, CECRSP, INSEE, A de F, etc.

Primauté à la « main invisible » sur la main visible.


2.2. La réforme des collectivités territoriales

Pas de « mille-feuilles » mais 2 triptyques : commune-département-nation (politique) contre agglomération-région-Europe (économique). L’invocation de l’extérieur (délocalisation, régions, métropoles) comme justification de l’aménagement du territoire (St-Dizier 20 octobre 2009).

Les dispositions majeures pernicieuses : conseillers territoriaux, métropoles, suppression de la taxe professionnelle, préfet de région véritable procinsul.

Les conséquences : détérioration de la situation matérielle et morale des fonctionnaires (effectifs, contractualisation, clientélisme), des services publics (8 directions dans les régions, 2 à 3 dans les départements, intrusion du privé). Cumul des régressions administratives déconcentrées et décentralisées.


2.3. Le démantèlement des services publics et de la fonction publique

Une spécificité française : une fonction publique de 5,3 millions, environ 6 millions avec les entreprises et organismes publics (un quart de la population active). Un môle de résistance au marché et à la contractualisation.

L’attaque n’a pas commencé acec Sarkozy : loi Galland du 13 juillet 1987 (+ 3° voie ENA, loi sur droit de grève 19 octobre 1982). La Poste et France Télécom en 1990 (P. Quilès), Air France 1999 (J-C. Gayssot), rapport du Conseil d’État 2003, lois de modernisation du 2 février 2007, sur la mobilité du 3 août 2009. Les gouvernements de gauche ne reviennent pas sur les atteintes de la droite.

La « révolution culturelle » de Sarkozy du 19 septembre 2007. Le Livre Blanc de J-L. Silicani (contrat contre loi, métier contre fonction, performance individuelle contre efficacité sociale). La crise révélatrice du rôle d’ « amortisseur social » du service public (emploi, pouvoir d’achat, protection sociale et retraites … éthique). Le « Grand soir statutaire » n’aura pas lieu.

 


III. LA CONTRE-OFFENSIVE NÉCESSAIRE : LE XXI° SIÈCLE « ÂGE D’OR » DU SERVICE PUBLIC ?


Défendre les services publics, mais surtout inscrire leur promotion dans une perspective.


3.1. Se positionner sur les valeurs et principes

Le pouvoir ne néglige pas les valeurs : 75 des 146 pages du Livre Blanc Silicani.

Réaffirmer les valeurs et principes de l’intérêt général, sur le service public et la fonction publique précédemment évoqués. S’agisxsant de la réforme des collectivités territoriales : unité de la République, libre administration des collectivités territoriales, subsidiarité démocratique.

Plus généralement : se réapproprier l’histoire, la science, la morale.


3.2. Faire des propositions constructives à tous niveaux

Ce pouvoir peut être tenu en échec : de la révolution culturelle, de la suppression du classement se sortie des écoles de la fonction publique ; critique du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux par P. Séguin. Dissensions sur la taxe professionnelle, l’élection des conseillers territoriaux. Promesse aventureuse de titularisation des contractuels …

Faire des propositions concernant le service public et la fonction publique : par exemple reclassement indiciaire, fin contractualisation, double carrière, conditions de mobilité, dialogue social, égalité hommes-femmes, etc.

Approfondissement de questions majeures : planification, nationalisations, institutions, laïcité, etc. « États généraux du service public » (Mutualité, 17 décembre 2009).


3.3. Le service public « valeur universelle » ?

La montée de l’ « en commun » : protection de l’écosystème mondial, propriété des ressources du sol et du sous-sol, des produits alimentaires, projets industriels internationaux, mondialisation de services, des échanges, de la culture par essence, etc.

La prise de conscience de l’unité de destin du genre humain caractéristique majeure du moment historique : « Terre-Patrie », le « Tout-Monde », « Patrimoine commun de l’humanité », « Biens à destination universelle », etc.

Le service public, valeur universelle. La contribution au monde de la conception et de l’expérience française. Le XXI° siècle « âge d’or » du service public.

Tag(s) : #Ils, elles le disent si bien
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